Cet article a été rédigé par Charlotte Cruz, autrice du livre Cheminer vers le bonheur avec Bouddha paru aux éditions Animae (Leduc) en 2024. Pour Infos Yoga, elle revient sur cette recherche du bonheur qui est commune à tous les êtres humains et évoque des solutions pour que cette quête ne reste pas vaine. Article paru dans le numéro 148, été 2024.

Illustration : Chilly Charly

 

Buzz - - Chilly Charly - La Lime

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Où est le bonheur en 2024 ?

Catastrophes naturelles, crises écologiques, guerres, nouvelles angoissantes au journal télévisé … Où est l’espoir mutilé par les élans d’éco-anxiété ? Quel avenir pour les générations à venir ? Comment survivre à nos présents et ne pas cultiver la culpabilité d’un monde qui s’effrite sur les intérêts personnels ? Vers quoi se tourner ? Où trouver les sources de joie ? Où est le bonheur en 2024 ? On parle ici du bonheur durable, une forme de bonheur diffuse, présente, latente qui est en voie de disparition. Mutilée, moquée, marginalisée, l’idée de bonheur durable est chassée à grands coups de slogans créateurs d’illusion. À force de vouloir vivre la vie que l’effervescence des sociétés nous impose, on perd le sens, on perd l’essence de soi, on perd la voie du bonheur. On honore les dieux « consommation » et « achat sous compulsion », on idolâtre le livré sous 24h, le pas cher, le remplaçable, l’inutile, on assouvit ses pulsions fugaces, on scrolle pour faire le plein de dopamine sur des écrans à lumière bleue, on ne voit plus ce que le cœur perçoit. Les sens atrophiés, on marche, zombies. Bercés par les néons publicitaires, on ère, endormis. Qu’est-ce qui rend Bouddha si spécial ? Il s’est réveillé ! Alors, réveillons-nous, nous aussi, et partons à la conquête de notre bonheur durable !

Fourmis nous sommes.

Petites fourmis, occupées avec frénésie, à chercher une source d’eau alors qu’une flaque est juste à côté de nous. Mais l’échelle de notre perception de la réalité est réduite. Conditionnée par notre champ de vision défini, nos 5 sens sous-exploités, nos croyances limitantes et les œillères que nous appose la société. Nous pensons que ce que nous voyons est notre réalité : une vérité globale partagée par l’humanité.

Fourmis. Nous errons autour de la flaque d’eau tant recherchée par ignorance de la réalité et non-reconnaissance que notre perception du monde est illusion. Nous avons soif et passons à côté de la source.

Certaines expériences de vie, de rencontres, de voyages permettent de prendre de la distance. Ce recul est nécessaire pour comprendre que l’eau existe, qu’elle n’est pas si loin, et nous donner la bonne direction pour étancher notre soif. Ces prises de conscience, ces distanciations de nos illusions sont momentanées. Rapidement, le quotidien nous rattrape, et s’il est facile d’être heureux dans une grotte isolée du monde au sommet de l’Himalaya, il est beaucoup moins aisé de maintenir cet état d’esprit apaisé au cœur du vrombissement urbain de nos quotidiens d’occidentaux surchargés. Difficile ne veut pas dire impossible ! L’existence même de cette possibilité d’accéder au bonheur devrait suffire à nous motiver pour fournir l’effort nécessaire à la conquête du bonheur durable.

Barque, nous sommes.

Barque. Nous sommes telles de jolies barques posées sur l’océan des souffrances. Notre incarnation humaine est l'unique l’opportunité de prendre cette barque pour faire la traversée, atteindre la rive opposée, la paix intérieure et le bonheur durable. Prenons conscience de notre chance et utilisons-là avec intelligence !

Contrairement à la fourmi, nous, humains avons un accès facilité à de nombreux outils variés pour agrandir notre champ de vision et combler notre ignorance.

Contrairement aux fourmis, nous, humains, avons des penchants fascinants pour les plaisirs fugaces. Notre attrait pour le désir immédiatement comblé,ronge le bois de nos barques et détourne l’attention du rameur pour le maintenir sur cet océan de pleurs.

Contrairement aux ouvrières de la fourmilière, nous avons le droit -le devoir même- et la possibilité de changer de rôle, de poste, de lieu de vie, de vision du monde et de destination.

Barque. Nous avons la responsabilité individuelle de saisir nos rames et de diriger notre embarcation sur la destination « bonheur » ! Mais la question de la direction demeure…

Dans quel sens ramer ?

Ramons vers le bonheur durable !

Matthieu Ricard, dans la préface du livre Cheminer vers le bonheur avec Bouddha (Charlotte Cruz - Éditions Animae) nous explique que « l’expression sanskrite sukha que l’on traduit par bonheur ne fait pas référence à une succession ininterrompue de sensations plaisantes - ce qui ressemblerait davantage à une recette de l’épuisement -, mais à une manière d’être qui résulte de la maturation d’un ensemble de qualités humaines fondamentales : l’adéquation à la réalité, la sagesse, la liberté intérieure, la paix intérieure, une bienveillance et une compassion sans limites ».

Prenons cette définition comme celle du bonheur durable et ramons vers elle de toutes nos forces pour trouver la source et étancher notre soif de bonheur, dépasser nos champs de vision rétrécis et s’ouvrir à l’éclatante joie d’un bonheur équanime. Ramons !

Et pourquoi ramer ?

Chaque être humain vient sur terre avec un appel instinctif pour le bonheur. Personne ne s’incarne en souhaitant être malheureux et en se promettant la pire des destinées. La quête du bonheur est ancrée dans nos ADN et nécessaire à notre développement personnel tant au niveau physique qu’émotionnel. Aristote l’exprimait déjà « le bonheur est le but ultime de la vie ».

Depuis des siècles nous théorisons la notion de bonheur, les modes d’acquisition de cet état de béatitude changent au gré des courants sociétaux. La vision de la famille modèle, l’emploi stable, la réussite professionnelle, la maison de campagne, la reconnaissance de ses pairs, la richesse…

Avons-nous remarqué que notre conception du bonheur change au fil des années ? Mais qui dicte ce qui est joie et ce qui ne l’est pas ? Nous aurait-on volé notre définition du bonheur ? Mâchouillé le sens de ce concept, digéré et resservi à l’infini en nouveaux produits à consommer ? Qui connaît le mieux les mécanismes de pensées et les éléments qui déclenchent nos intentions, les liens entre émotions et actions ? Les publicitaires, les politiciens et les médias…

Ne leur laissons pas le pouvoir de guider nos barques ! Il nous faut prendre les rames pour (re)devenir maîtres de notre courant, ne plus nous laisser ballotter par les intérêts des autres, redéfinir notre destination et enclencher les efforts nécessaires pour effectuer cette traversée.

Il nous faut… Une révolution interne dont nous serions le leader !

Désirons-nous vraiment être heureux ?

Nous sommes les seuls à décider de la réponse à cette question. La souffrance, comme notre bonheur, ne dépend que de nous : personne ne peut nous prendre par la main pour nous faire entrer au paradis, personne ne peut nous tirer par la jambe pour nous jeter en enfer, le bonheur et la souffrance sont entre nos mains : ne nous décevons pas !

Traverser… Débarquer de l’autre côté… Que se passe-t-il une fois arrivé ?

Sur le rivage de l’accomplissement de soi, il n’y a pas de fanfare qui acclame ceux qui ont réussi la traversée. Sur l’autre rive, c’est calme, c’est silencieux, c’est simple et c’est extrêmement savoureux. Il n’y a pas de célébration, on ne se réveille pas un matin transformé, habité par la lueur divine, brillant dans la nuit et capable de voler… Le bouton du bonheur n’existe pas ! Il n’y a pas de solution miracle, pas de bouton du Bonheur à actionner, pas de transformation spectaculaire, nous ne pourrons pas résoudre tous nos problèmes en un jour. Comme les grands changements, c’est une révolution, lente, sourde, tranquille et pacifique qui se met en place. Nous devons mener notre vie de telle sorte que le véritable changement se produise. À chaque coup de rame, on se rapproche de soi. Sur l’autre rive, c’est nous. Juste nous. Le vrai nous. Libre, comblé, heureux.

Cette traversée ne sera pas un long fleuve tranquille. C’est à nous d’être responsables de notre perception des choses et de faire de notre voyage une aventure sinueuse ou merveilleuse. La clé c’est de s’impliquer, de s’engager à nos propres côtés.

Détacher les amarres

Tout commence avec un mantra, à écrire sur le miroir de la salle de bain, sur la porte de la chambre, sur la table de chevet ou avec la photo familiale sur le bureau. Un mantra à lire et relire jusqu’à ce qu’il trouve sa place dans nos mécanismes de pensées et y déloge les habitudes imposées :

« Je promets de ne jamais rendre mon esprit malheureux ».

Aussi simple que ça …

Comment ne jamais rendre son esprit malheureux ?

Chaque jour, environ 70 000 pensées activent nos synapses et contrôlent nos réflexions, émotions, raisonnements et au final, nos actions.

50% de nos pensées sont les mêmes que celles d’hier, les pensées récalcitrantes et celles de l'organisation du quotidien.

40% de nos pensées sont perturbatrices ou limitantes : elles proviennent de nos peurs, nos attachements, nos colères et nos mécanismes d’auto sabotage.

Seuls 10% de nos pensées quotidiennes sont positives.

Ramer vers la rive du bonheur durable c’est augmenter, en conscience, le pourcentage de nos pensées positives.

Le Bonheur durable : mode d’emploi !

Adéquation à la réalité : entraîner son esprit à accepter le bonheur.

Dans les 4 Nobles Vérités, on apprend qu’il faut commencer par reconnaître l’existence de la souffrance pour ensuite pouvoir en trouver la source. Il en va de même avec le bonheur. Pensez-vous réellement pouvoir être heureux ? Croyez-vous que le bonheur durable existe ? Et si nous arrêtions de nous contenter d’une vie « OK », « pas mal », « plutôt satisfaisante » pour trouver la force de chercher à libérer le potentiel maximum de notre incarnation humaine ?

Le bonheur durable existe, il est à portée de rames, juste là. Il ne coûte rien, n’est pas mauvais pour la santé, ne procure pas d’addiction, il est digne de confiance et peut-être consommé sans modération !

Il faut y croire et entraîner son esprit à accepter cette réalité pour le percevoir. Identifier nos 10 % de pensées positives comme source de notre bonheur durable et s’engager à leurs côtés, pour leur laisser la place de se développer.

Proposition d’exercice : tenir un journal des états émotionnels positifs. Y inscrire nos plus grandes joies quotidiennes et tenter d'identifier le dénominateur commun, le déclencheur de ces états de béatitude. Après plusieurs semaines d'écriture, isoler les facteurs de notre bonheur durable et les replacer quotidiennement dans nos routines.

Cultiver la sagesse : comprendre le mécanisme du bonheur durable.

Le bonheur durable dépend donc de nos pensées. Nos pensées sont nourries par nos habitudes de vie. Nos habitudes de vies sont sculptées par nos quotidiens, nos environnements, nos traumatismes, nos mythes fondateurs, notre rapport au monde et aux autres. La bonne nouvelle c’est que nous pouvons avoir un impact sur nos habitudes de vie, donc nos pensées, et donc notre accession au bonheur.

Initions un cercle vertueux, cultivons la sagesse, apprenons à nous comprendre et à décoder nos mécanismes de pensées pour ne plus se laisser diriger par le mental, mais l’utiliser comme un outil au service de la paix intérieure.

Proposition d’exercice : initier un travail d'introspection pour explorer nos ombres, nos mythes fondateurs et ce qui nourrit la boucle des pensées affligeantes profondément ancrées dans nos histoires personnelles et transgénérationnelles. Accepter de les observer, de les dévoiler, c'est réduire leur puissance.

Faire place à la liberté et la paix intérieure : changer de point de vue sur les situations.

La seule chose que nous maîtrisons dans cette incarnation c’est notre perception des choses, alors profitons-en ! Entraînons nos esprits à créer des pensées positives dans le plus de situations possible. Si nous ne pouvons pas changer ce qui se déroule dans le théâtre de nos vies, nous pouvons toujours contrôler les pensées qui émergent en nous au contact des scènes qui s’y jouent. Nous devons faire de la place à la liberté personnelle et à la paix intérieure. L’une des solutions consiste à réduire les stimulus extérieurs qui font émerger les pensées. La méditation, le silence, la pratique du yoga, de la pleine conscience ou de Vipassana... il existe de multiples techniques à notre disposition pour apaiser l’intensité des pensées et apprendre à maîtriser celles qui émergent au contact de telle ou telle situation.

Proposition d’exercice : multiplions les expériences nouvelles, ouvrons votre cercle social à des profils différents, allons nous balader et poser nos yeux sur des lieux encore jamais observés. C'est dans notre réaction à la nouveauté que l'on peut plus facilement identifier les mécanismes de pensées qui font émerger telle ou telle émotion en nous.

Adhérer à la bienveillance et la compassion sans limites : forger de nouvelles habitudes

Dans ce monde de compétition où la course à la réussite conditionne nombre de nos éducations, la maladie du siècle est, comme le rappelle le Dalaï Lama, « le fait de ne plus savoir être seul, et de ne plus savoir être avec les autres ». Le bonheur durable réside dans une bienveillance envers nous-mêmes, personne ne peut prendre soin de nous mieux que nous même. Et comment ressentir de la compassion envers autrui si nous sommes incapables de développer ce sentiment envers notre propre personne ?

De nombreuses méditations guidées permettent de s’entraîner à ressentir, exprimer, cultiver la bienveillance et la compassion d’abord envers nous-mêmes, puis envers nos proches pour réussir à ressentir ce sentiment de bienveillance envers les inconnus et même nos pires ennemis.

Proposition d’exercice : pratiquez la méditation en pleine conscience guidée par des maîtres qui ont déjà appris à maîtriser leurs réactions émotionnelles.

Conclusion

Il n'y a pas de raccourci vers le bonheur durable, pas de bouton magique, pas de pont entre les rives. La seule solution, c'est d'emprunter la barque offerte par notre incarnation humaine : s’entraîner avec discipline, fournir des efforts pour modifier notre vision et muscler nos mécanismes de pensées à s’orienter vers le bonheur et à ne plus rendre notre esprit malheureux.

Car c’est en se changeant soi que l’on pourra changer le monde. (Gandhi)

Le plus difficile est le premier pas, le reste suit avec une fluidité naturelle. Ce premier pas, c’est ce mantra « je promets de ne jamais rendre mon esprit malheureux ».

Saisissons notre chance, montons dans la barque pour entamer le plus beau des voyages, celui qui mène au cœur de soi, de l’autre côté, après la traversée vous attend le bonheur durable. Tout est déjà en nous, il suffit de le (r)éveiller !

Êtes-vous prêts ? Ramez !